Logement : quand les habitants se mobilisent contre les passoires thermiques

Procédures judiciaires, manifestations de locataires, méga-copropriétés enquête de financements… Alors que près d’un ménage sur sept vit en situation de précarité énergétique dans le Grand Lyon, certains se démènent pour faire rénover leurs logements. Avec succès parfois.

Article de Mathieu Périsse – ‘Médiacités’ 

Officiellement, le bâtiment s’appelle « L’Alizé ». Un nom prédestiné pour cette barre d’immeuble des années 1960, gros paquebot de quinze étages battu par les vents du plateau de La Duchère, dans le 9ᵉᵐᵉ arrondissement de Lyon. Mais sur place, beaucoup l’appellent « le Chicago ». Souvenir de la délinquance qui a longtemps marqué les lieux. Aujourd’hui, c’est un autre mal qui ronge l’imposant bâtiment de 183 logements, en partie détruit et rénové dans les années 2000 : une humidité tenace s’est emparée de plusieurs appartements gérés par le bailleur social Grand Lyon Habitat.

Quand elle y a posé ses valises avec sa fille en 2019, le logement de Malika était « tout beau tout propre ». Peinture fraîche sur les murs et sol impeccable. Deux ans plus tard, on peine à la croire. Après un premier dégât des eaux, la moisissure a peu à peu pris possession du parquet du couloir, des WC, de la salle de bain… Des grandes traces noires maculent les coins des pièces situées autour de la colonne d’eau. L’humidité a fait éclater le bas de certains murs, gonflés par les infiltrations.

Une partie de l’appartement de Malika, rongé par l’humidité.

Du 10 étage, la vue sur Lyon est imprenable, mais l’atmosphère est lourde.« Depuis que je suis ici, je suis sous Ventoline. Ma fille a des problèmes de peau, des plaques sur les bras », raconte Malika, qui paie près de 300 euros de loyer par mois, déduction faite de l’Aide personnalisée au logement (APL).

Depuis des mois, elle multiplie les alertes auprès de son bailleur. Grand Lyon Habitat a bien augmenté le chauffage et promis quelques travaux, pour changer la baignoire ou refaire le sol, mais sans s’attaquer aux causes de l’humidité, estime Malika. « Ils vont juste refaire le décor !, regrette-t-elle. C’est comme ça chez plein de voisins, mais ils ont peur de se fâcher avec leur bailleur. »

Joint par ‘Médiacités’, Grand Lyon Habitat ne nie pas l’existence de problèmes de canalisations dans l’immeuble. Le bailleur indique avoir lancé une étude, dont les conclusions sont attendues d’ici au mois de mars, pour« identifier le nombre de colonnes d’eaux usées dont l’état est vétuste ».Objectif : lancer des travaux « avant la fin de cette année 2022 pour remplacer entièrement les colonnes jugées prioritaires ».

« Ici les murs pleurent »

Malika n’est pas la seule à tenter d’attirer l’attention de Grand Lyon Habitat, qui gère près de 26 000 logements dans l’agglomération. A quelques kilomètres de là, dans le quartier de Gorge de Loup, plusieurs habitants ont décidé d’assigner le bailleur social en justice pour exiger des travaux.

A l’extérieur du petit immeuble de 35 logements, coincé dans un vallon sous l’autoroute du Soleil, de grandes coulées sombres ne présagent rien de bon. « Ici, les murs pleurent », résume Zora*, 45 ans, locataire depuis une quinzaine d’années avec son mari et ses quatre enfants.

Au 11 et 13, rue des Deux Amants, Grand Lyon Habitat gère près de 35 logements. Photo : MP

A l’intérieur, les courants d’air et les traces d’humidité sont fréquents. « On chauffe pour rien, tout part dehors », raconte Zora, qui affirme repeindre des portions de mur chaque printemps pour effacer les traces de moisissure. « Je lave à la Javel, mais ça revient tout le temps. Moralement c’est dur, surtout avec les enfants », dit-elle. Elle paie 580 euros de loyer par mois. Mais ses factures d’électricité pour le chauffage peuvent grimper jusqu’à 250 euros certains mois, indique-t-elle.

Pour lutter contre le froid, plusieurs habitants ont tenté de calfeutrer leurs fenêtres ou l’encadrement des portes d’entrée avec du coton ou du scotch. Des remparts dérisoires. Faute de mieux, d’autres installent des chauffages d’appoint au fioul, pourtant interdits dans l’immeuble. Malgré des signalements envoyés au bailleur depuis plusieurs années, rien ne bouge.

Chacun bricole dans son coin. « Jusqu’au jour où on a discuté entre voisins et qu’on s’est rendu compte qu’on vivait tous la même chose », se souvient Zora. Les locataires de la rue des Deux Amants décident alors de solliciter la Confédération syndicale des familles (CSF), une association qui siège dans plusieurs conseils d’administration de bailleurs sociaux.

Bailleur social condamné

Sur les conseils de la CSF, trois habitants finissent par assigner en justice Grand Lyon Habitat, constats d’huissiers à l’appui. « Le bailleur estime que des travaux ont déjà été réalisés ou sont prévus. Mais sur le terrain ça ne change pas grand-chose. On demande des engagements avec des dates précises », explique Jean-Pierre Ottaviani, le président de l’association dans la Métropole de Lyon.

Fin décembre 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a fini par donner raison aux trois locataires et a ordonné au bailleur de réaliser les travaux sur les portes et les fenêtres de l’ensemble de l’immeuble dans les deux mois, sous peine d’une astreinte de 100 euros par mois et par foyer en cas de retard.

Sans commenter la décision de justice, Grand Lyon Habitat assure de son côté avoir entamé des démarches pour lancer les travaux depuis le «printemps 2021 » mais avoir pris du retard du fait de demandes particulières de la collectivité en charge des autorisations d’urbanisme. Auprès de ‘Médiacités’, le bailleur ajoute que ses équipes « restent mobilisées pour garantir la mise en œuvre des travaux en 2022, dès que possible ».

« La plainte de trois habitants profite à l’ensemble de la résidence, se réjouit Jean-Pierre Ottaviani. C’est une victoire, mais il faut bien comprendre que le problème est global, à Lyon, Vénissieux, Villeurbanne, quel que soit le bailleur. » A Tassin-la-Demi-Lune, l’organisme HLM Alliade a lui aussi été assigné en justice par une locataire. Le jugement est attendu pour ce mois de janvier.

Un ménage sur sept en précarité énergétique

Le passage au tribunal, symptôme des lacunes du secteur résidentiel ? Dans la Métropole de Lyon, près de 15% des ménages, soit 90 000 foyers, sont potentiellement en situation de précarité énergétique, selon le Schéma directeur des énergies du Grand Lyon lancé en 2019.

L’estimation est à mettre en parallèle avec les diagnostic énergétiques(DPE) réalisés dans les logements. En 2018, sur plus de 850 000 résidences principales dans le Rhône et la Métropole, 78546 étaient classées F et 48516 classées G, selon les données https://www.statistiques.developpementdurable.gouv.fr/le-parc-de-logements-par-classe-de-consommation-energetique compilées par le ministère de la Transition écologique. Autrement dit, c’est bien près de 15% des logements qui sont considérés comme de potentielles passoires thermiques.

Pour les pouvoirs publics, ils représentent un énorme gisement d’économie d’énergie. Le secteur résidentiel concentre à lui seul près de 30 % de la consommation énergétique sur le territoire de la Métropole de Lyon. Dont près de 70 % pour le seul chauffage.

« La Métropole veut faire du chiffre en matière d’éco rénovation »

Plusieurs dispositifs incitent les propriétaires privés et les bailleurs sociaux à réaliser les travaux nécessaires : le principal mécanisme national, « Ma Prime Rénov’ », peut être complété par des financements de l’Anah pour les foyers à faibles revenus. La Métropole de Lyon pilote de son côté Ecoréno’v, le bras armé du Grand Lyon pour la rénovation thermique. Selon son dernier bilan publié en mars 2021, le dispositif a financé en partie la rénovation de près de 17 000 logements depuis son lancement en 2015, dont près des deux tiers dans le secteur privé.

« Nous avons doublé le budget d’Ecoréno’v pour monter en puissance », souligne Renaud Payre, vice-président du Grand Lyon chargé de l’habitat, qui ambitionne de passer de 4000 logements rénovés par an en 2020 à 6000 en 2022. Dans son programme électoral, en 2020, le président de la Métropole, Bruno Bernard (EELV), promettait de porter à 10 000 par an https://www.mediacites.fr/promesse/renover-10-000-logements-par-an-via-le-programmeecorenov/ le nombre de logements bénéficiaires d’Ecoréno’v. La rénovation du parc social représente « un énorme défi » selon le « Monsieur Habitat »du Grand Lyon. « On ne va pas tout rénover d’un coup, mais les bailleurs sociaux savent que la Métropole veut faire du chiffre en matière d’écorénovation », assure-t-il.

Du côté des offices HLM, qui ont subi un choc financier https://www.mediacites.fr/decryptage/toulouse/2019/10/01/baisse-des-apl-quellesconsequences-pour-les-hlm-toulousains/ avec la réforme du logement social pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron, les grandes manœuvres sont lancées. Alors que 12% du parc de Grand Lyon Habitat est classé E, F ou G, le bailleur a prévu plus de 400 millions d’euros d’investissements pour la période 2020-2029 afin de rénover plus de 5000 logements et faire disparaître de son parc les niveaux F et G d’ici à 2028. Compter entre deux et cinq ans de travaux selon la taille de la résidence et l’ampleur de la rénovation. En attendant, les habitants sont priés de prendre leur mal en patience.